Quête de vision- Jeûne de vision un récit comme un autre ©carine roth

Quête de vision- Jeûne de vision un récit comme un autre ©carine roth

Quête de vision   –

                    Quête de sens

 

Si le terme devient à la mode et fait rêver, la pratique de la quête de vision arrive tout juste en Europe.

Entre écologie profonde, pratique de reconnexion ou recherche existentielle, le jeûne de vision est avant tout un puissant rite de passage.

Récit d’une quête initiatique, dans le désert d’altitude de Californie, là-bas, où l’eau est le rêve éveillé d’un Océan disparu, dans l’aridité assommante du jour et le froid mordant des nuits.

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Et notre rubrique Activités pour les propositions sur mesure

 

(Vue des Inyos depuis la plaine asséchée de l'Owen's Valley)

(Vue des Inyos depuis la plaine asséchée de l’Owen’s Valley)

 

“La route s’enfonce dans la nuit et je sombre à sa suite.

Il est 3 heures du matin, je laisse derrière moi les lumières clignotantes et le gigantisme de Las Vegas pour piquer droit sur le désert.

Les limites de la ville sont tranchées au couteau, un seuil sans acclimatation qui fait passer de l’excès de tout à l’absence de tout. Le désert est noir comme le fond d’un puits, la route impeccablement droite pour des heures, pas une lumière à l’horizon, la sensation d’être à l’arrêt en filant à 160km heures dans le pinceau hypnotisant des phares.

J’ouvre les fenêtres, chante à tue-tête, me gifle, rien n’y fait, je me traîne, colle à l’asphalte et m’endors au volant. Je dois rejoindre l’Owen’s Valley, à quelques 7 heures de route d’ici, c’est là que je suis attendue cet après-midi pour le début de ma deuxième Quête de vision dans la rocailleuse, essentielle, élémentaire nature des Inyo’s Mountains _ la terre du Grand esprit disent les Pauites people, natifs américains et gardiens du lieu.

Beatty est la seule agglomération de tout le trajet, un saloon, deux stations services, des caravanes miteuses, des motels routiers et un village fantôme du temps de la ruée vers l’or… Je me gare sur un parking et dors deux heures à l’arrière de la voiture de location. Au matin, j’attrape un café à la station service et déguste extatique la beauté du paysage qui défile. Arbres Joshua, cactus géants, formations rocheuses sculptées par le temps, espace à perte de vue ; cela sent le coyote et le serpent à sonnette, la liberté et les grands rêves. La vie est belle. Et rude. En avant.

Je rejoins les gens de The School of Lost Borders (l’école des frontières perdues) qui depuis plus de 35 ans organisent ici des rites de passage, dans la nature sauvage de cette partie de la Californie, en bordure de la Vallée de la mort. Jeûner 4 jours et 4 nuits seule dans la nature, sans compagnie et sans abris… à la merci du soleil, de la chaleur, de la pluie, des orages et des éclairs, du froid, de la solitude, de la faim, de la peur… Mais pourquoi au juste, pourquoi s’infliger cela, se rendre à ce point misérable et vulnérable ?

Au fond, tout commence par une histoire. Quelle histoire et comment la raconter ? Tout tient à la fin à ceci, un mythe, un récit, le voyage du héros, l’odyssée, la quête et le retour. Au coeur ancestral de l’Humanité. Dans l’aventure  intemporelle des rites de passage, au pays de tous les possibles.

Partout dans le monde, des êtres partent en pèlerinage. A la rencontre d’un signe, d’une réponse, d’une confrontation, mus par le besoin de sens. La quête inclut le danger. Sans danger pas d’odyssée. C’est une remise à zéro, se retrouver seul responsable de soi-même, sans secours ni béquilles, tout à fait mis à nu entre ciel et terre. En prise tant avec la plus simple réalité de la vie et de la survie qu’avec ses plus profonds démons intimes.

C’est seul et sans recours que se pose la question « Qui suis-je ? »…

Qui es-tu donc, toi qui te tiens là, les mains vides et les bras ballants, affamé? Il faut très certainement prendre un risque -réel- un danger -tangible- une épreuve à surmonter -si possible-  pour accepter de se voir et de s’appartenir tout à fait. Tout perdre. Tout risquer. Tout quitter. Conquérir pieds nus cette simple liberté, non-négociable.

L’aventure va durer 12 jours, en trois étapes.”

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(Racoon goes to Sacred Mountain… crédit: Helen Cat Beckers)

 

 

Jours 1 à 4. Nourrir son âme.

Notre petit groupe se réunit dans la chaleur déjà écrasante du premier matin, nous ne nous connaissons pas, nous nous asseyons là ensemble en formant un cercle de chaises à l’ombre d’un grand pin.

Pour 4 jours, tous les jours, nous ferons la même chose. S’asseoir, parler, écouter, ralentir… enfin finalement commencer à entendre. Sa femme aimée à la folie morte brutalement agressée, son incapacité à se réaliser, son cancer, son épreuve de la perte ou sa demande d’entrer dans la vie adulte et de quitter la confusion qui le ronge, le courage de faire face à sa peur, le besoin viscéral de quitter l’angoisse, le chagrin, célébrer une libération, une victoire, un décès, une rupture. Chaque personne de ce petit groupe d’une dizaine de personnes a son histoire, humaine, si profondément humaine. Le groupe est hétéroclite, sinon notre improbable présence sous cet arbre au milieu du désert, rien ne nous rassemble. Pourtant, je nous sens devenir, au fil des mots, des heures, à parler, manger dehors, dormir dehors, marcher là, petit à petit, une communauté. Les coeurs s’ouvrent, lentement. Les yeux pleurent, parfois. On rit aussi. On s’éloigne… de tout ce qui jusqu’ici nous a défini, pour se découvrir sans fard. On mange moins, on parle plus doucement, on commence un peu à ressentir. L’âme s’étire, comme nourrie de cette absence de stimulation et le silence qui se reproduit enfin au creux des rêves des uns et des autres. On simplifie, lentement, lentement, lentement. La clé d’une quête comme celle-ci est de ralentir, et de nourrir son âme avant de partir, pour pouvoir s’en aller avec seul soi-même comme compagnie.  C’est évident, ce n’est pas l’absence de nourriture le plus difficile à endurer mais l’ennui et le flux des pensées, folles. Alors pour ces 4 jours, on parle, on re-découvre la puissance du récit, des histoires, le besoin de faire sens, l’importance fondamentale de la beauté, de la poésie, d’avoir un chant, le sien, quelque part avec soi où que l’on soit.

Le dernier jour nous déménageons plus loin dans la nature sauvage, nous nous éloignons encore un peu de la civilisation pour une dernière nuit ensemble. Au matin du 5ème jour nous nous levons en silence et chacun part de son côté sur le lieu qui sera celui de sa quête pour les prochains 4 jours et 4 nuits.

 

Jours 5 à 8. La quête.

J’ai trouvé la veille le lieu qui va m’accueillir pour ce temps de solitude. C’est la crête d’une colline qui court d’Ouest en Est et la promesse de levers et couchers de soleil là-haut. Je prends mes gallons d’eau, mon sac de couchage et mon petit sac de survie (premiers secours, barre énergétique en cas d’urgence, briquets, sifflet, habits chauds et imperméables). On y est. C’est maintenant.

Ne rien prévoir, lâcher tout contrôle, savoir que les heures seront longues et vides parfois, extatiques à d’autres instants.

On perd un peu la tête privé de contacts sociaux…

J’installe mon campement, fait connaissance avec l’endroit, découvre mon domaine, immense avec la vue sur les hauts sommets de la Sierra et les collines des Inyos en vagues infinies à 360 degrés. Voilà. Rien.

Rien pour longtemps. Une heure comme une semaine. L’ennui. Le vide. La révolte. Je marche, je marche des heures, partout. Et pourtant le jour ne se termine toujours pas. Je profite de marcher tant que j’en ai encore le force physique. C’est une manière de se présenter, de commencer cette conversation avec cette terre qui m’accueille et que je connais si peu. Ce désert là, ces formes, son essentiel, ses couleurs pastels, ces heures de soleil de plomb et ces étoiles la nuit… L’apprendre doucement, comme on apprend à aimer, à tomber en amour minute après minute. Se sentir disparaître, ne plus savoir le haut du bas, la droite de la gauche, finalement se dissoudre pour appartenir, appartenir très exactement à cet instant et cette vie, fragile, palpitante, infinie.

Après 3 jours je ne me déplace plus qu’au ralenti, de l’endroit où je dors à celui où je peux m’asseoir à l’ombre. Je fais des rêves obsédants, dont rien ne me sort au matin en l’absence de contact, de nourriture, de distraction. Je passe mes journées dans cet espace entre les mondes. Laissant le mental perdre la tête pour retrouver le rythme du coeur. Ma respiration m’angoisse. Et si il s’arrêtait de battre, justement, ce coeur là dans ma poitrine ?

Dans cette pratique, il est proposé la dernière nuit d’installer un cercle de pierres, de s’asseoir là pour toute la nuit jusqu’au matin. On chante pour rester éveillé, pour lancer ses prières, pour mourir là. On convoque les êtres de sa vie, en pensées, pour leur dire adieu. C’est si puissant… Penser aux êtres que l’on aime, ceux que l’on a aimés ou détestés, à tous ces êtres qui font une vie, une vie. Et éventuellement on reprend la mesure des choses. L’esprit se fait clair, limpide. La vue s’affûte ainsi que tous les sens. La magie qui se produit là, elle, ne se raconte pas ; comme toutes les initiations elle se vit, simplement. L’expérience réelle est sacrée, rare, profondément intouchable.

Durant ces 4 journées et nuits, en l’absence de nourriture, la psyché « mange » les souvenirs, les sensations, les émotions, les pensées, illuminations, prières. Elle mange le paysage, les arbres, les pierres, le ciel, les insectes, les oiseaux, comme le dit si bien Stephen Foster, l’un des fondateurs de The School of Lost Borders…

La vie tout autour devient fascinante, profondément émouvante, les limites entre soi et le monde se font perméables, floues, sensuelles. La frontière entre soi et la nature s’efface, disparaît. On revient au 5ème matin au camp de base le ventre creux mais l’âme, la tête et l’esprit nourris au plus profond de soi.

 

Jours 9 à 12. Le retour.

Dernier matin, dernier lever de soleil.

Là dans mon cercle de pierres, sentir la lumière arriver, la ressentir. Se lever, marcher comme de premiers pas, une forme de naissance, presque s’accoucher de soi-même.

Ranger, effacer mes traces le plus possible, remercier ce coin de terre où j’ai dormi, crié, pleuré, dansé, chanté, respiré… Ne rien laisser, passer de petites branches sur le sol pour faire disparaître le plus possible mon poids sur la terre. Me rendre responsable de cette nature qui donne tout, tout le temps. Prendre mon sac. Redescendre la colline pour retourner au camp de base. Les jambes faibles et l’esprit affûté. La rencontre avec le premier être humain après ce temps de solitude est assez bouleversante, pour tout dire presque violente. La première interaction doit être codifiée, on retourne, on revient de loin, très loin. Alors l’accueil est doux, on parle peu, pas du tout, on s’approche doucement, on partage un petit déjeuner de fruits délicieux, de liquides chauds, de choses sucrées et salées comme un délice raffiné. Celui de la nourriture dans la bouche et de la présence des autres auprès de soi… On est tous, cette petite communauté d’une dizaine d’individus tannés par le plein air, effectivement vulnérables comme des nouveaux nés.

C’est tout pour cette première matinée, ne pas trop raconter, garder la magie, juste prendre le temps de revenir.

Dès le lendemain, nous voici de retour en cercle dans l’ombre du grand pin. C’est le temps des récits, à tour de rôle, chacun aura un espace d’environ 30 minutes pour dire, partager, faire le récit de son mythe, de son odyssée, de son histoire.

Ce sont 3 jours essentiels d’écoute profonde, d’émotions, de compréhension, d’intégration. On dit qu’une vision sans action est une hallucination. Ces partages sont le moyen de donner corps, matière, à l’expérience pour la rendre effective, pour la ramener avec soi, en soi. Se rappeler comment dire « Oui à sa vie », toute entière, sans rien éviter ni s’épargner. Le ramener chez soi, auprès des êtres qui nous accompagnent, dans le quotidien. Au jour le jour, tous les jours. A pleine gorge, de tout son coeur, simplement.

L’écrivaine Mary Williamson a écrit « qui es-tu pour ne pas être toi-même ? Pour ne pas exister dans l’immensité de tout ce que tu es ? » Et de se souvenir que les dons et cadeaux reçus ne nous appartiennent pas mais sont fait pour être réalisés et partagés.

 

Cette expérience demande du courage, peut-être un peu de folie ou de désespoir, mais il y a fort à parier que notre monde « moderne » va de plus en plus se tourner vers ce genre de pratiques, où se reconnecter à la nature et dissoudre le mensonge de croire que l’humanité est séparée du paradis, de cette vie.

 

Merci à Betsy, Scott, Angelo, Meredith et Steven pour leur travail, leurs mots, inspiration et soutien.

Merci à Cat et à mes amis “vision fasters”au fil des ans et des retours et découvertes dans les montagnes des Inyos.